AUX FUTURS CRÉATEURS IV

Au lieu de parler ou de se vanter avec le nom de Jacques Lecoq, je préfère parler de ce qui l’a animé à développer ses outils si indispensables pour un créateur, comédien, metteur en scène ou auteur. 

 

«Jacques Lecoq» est avant tout un nom pour ceux qui ont suivi sa formation; les anciens qui ont pu travailler avec lui et les nouveaux qui ont suivi les reliques formatées par les professeurs après lui; peut-être est il aussi un monument. Mais le grand nombre de futurs créateurs de nos jours n’ont plus aucun lien avec ce pédagogue.

 

Jacques Lecoq voulait réfléchir au monde, l’observer en collectif pour mieux le comprendre et s’en servir afin de trouver des langages de gestes. C’est exactement ceci qu’on continue a faire à l’école Gysling. La pédagogie, donc le lien quotidien avec les élèves, se résume à créer des occasions pour essayer, tester et inventer grâce aux exercices donnés. C'est offrir un espace et du temps, guidé et dirigé par le professeur, pour trouver un chemin, pour affiner ses mouvements, formuler et préciser ses envies et ses idées. Une conscience du corps, de l’espace et des partenaires sont des effets naturels d’un travail quotidien. Ils ne s'agit pas de trouver un résultat final mais un début d’une attitude de travail nécessaire pour pouvoir continuer son chemin une fois l’école terminée. Les références acquises pendant ces deux ans vont être les piliers pour la suite. Ils permettront aux anciens élèves de faire partie d’une grande famille internationale d’artistes, avec un langage et une compréhension commune tout en gardant leur originalité. Inutile de reproduire, d'imiter, de répéter, d'apprendre par coeur, de suivre ou d'être influencé : tant de choses ont déjà été bien dites et faites. Mais l’humanité continue a avoir besoin d'histoires actuelles qui reflètent nos vies, d’une manière compréhensible, internationale, sans barrière ni pour les langues ni pour un certain âge. Nous sommes entourés du même monde et le fond commun est en nous tous. Ce fond veut être touché, et ça s’apprend.

 

Une formation de deux ans suffit pour mettre les choses en mouvement, pour autant que l'élève s'accroche, s'engage, s'intéresse, s'enthousiasme. Cela va de soit que tout n'est pas acquis avec la fin des cours. Le feu, l'entrain, la passion continuent et guident les anciens a approfondir leurs connaissances tout naturellement. Tout expérience faite après l’école s'appuie sur les références acquises, préservées à l’intérieur, et permettent de tracer sa route et de se développer artistiquement et humainement. 

 

Travailler est aujourd’hui souvent vu comme une chose négative, fatigante. Appelons le alors plutôt découvrir, avancer ou encore gagner du terrain inconnu. C’est la plus belle manière de devenir qui on est. On mûrit, on continue. Pour développer un style personnel ou pour se raccrocher aux anciens styles de théâtre. Les vivre, les cultiver sans les traiter comme une matière poussiéreuse n’est pas une promenade de plaisir. C’est du travail quotidien. Mais quelle belle aventure de sentir grandir quelque chose à l’intérieur de soi même, de monter les marches de la compréhension d’un thème et de l’approfondir à l’ombre des ‚likes‘ et des récompenses extérieures. Une vraie attitude de travail, ça se travaille. 

 

Trouver la liberté grâce à un cadre est souvent une grande découverte pour les élèves à l’école. Un cadre solide donne de la confiance, un calme et enlève cette peur, omniprésente aujourd’hui, de rater quelque chose. Rater, c’est gagner un savoir inconnu auparavant. Échouer, c’est être prêt la prochaine fois. Et il y a toujours une prochaine fois. Encore et encore. Rien n’est fixe, „tout bouge", pour citer Lecoq. Mais tout à une loi et ses règles. Mieux vaut apprendre à les connaitre par l'expérience et le ressenti que seulement en théorie. L’école Gysling s’appuie sur les outils de travail créés par Jacques Lecoq pour expérimenter ces lois et ces règles trop souvent négligées et méprisées. Qui n’aimerait pas aller droit au but et réussir tout, tout de suite, de nos jours ? Il n’y a pas de miracle. Comme dans tout autre métier, un apprentissage demande un engagement, le plus complet possible. Se dévouer à une chose n’est plus tellement à la mode, soit - mais si on ne veut pas s'accommoder de ses compétences et de son niveau, si on veut créer plus sensible, plus juste, plus vrai, créer réellement ; il n’y aura pas de raccourci. Détecter ses faiblesses n’est pas facile, certes, mais c’est un pas indispensable sur le chemin. Mieux vaut les connaître soi-même avant les autres, avant que le public ne les découvre. Mieux vaut s’amuser avec, rester humble et honnête que de se mentir. 

 

Voilà quelques pensées d’un professeur de théâtre en 2022 qui rêve de faire vivre l’héritage d’un grand pédagogue nommé Jacques Lecoq. Il aurait pas aimé ce musée qu’on fait de ses fruits trouvés et développés au long de sa vie. Le roi est mort, vive le roi !